LE KALEVALA
En 1833 et 1834, l'infatigable rassembleur fit deux courts
séjours dans le nord du pays : il alla trouver trois
bardes célèbres qui récitaient de véritables
cycles épiques groupés autour de quelques héros.
C'est ainsi que le « laulaja » (chanteur) Vassila
lui dicta un long poème dans lequel il unissait les
travaux de Vainamôinen à ceux d'Ilmarinen par
de petits raccords qu'il avait composés lui-même.
Un autre, Ontrei, groupait les épisodes autour du
voyage des prétendants à Pohjola et y rattachait
le mythe du « sampo ». Mais le plus remarquable
des bardes que vit Lônnrot était Arhippa Perttunen
.- ce vieillard de quatre-vingts ans, qu'il écouta
pendant presque quatre jours, lui révéla les
plus belles runot du Kalevala. « II chantait les runot,
raconte Lônnrot, dans un ordre excellent, sans laisser
de lacunes ; beaucoup de ces chants étaient complètement
nouveaux pour moi : je doute que j'eusse pu les connaître
ailleurs. Si je n'avais pas vu ce vieillard, ou s'il était
mort avant mon passage, une partie considérable de
nos plus antiques chansons aurait disparu avec lui dans la
tombe. »
II est probable que ce fut sous l'influence de ces trois
chanteurs que Lônnrot élabora la méthode
qu'il avait intuitivement employée en rédigeant
son Kantele. Il avait en effet pu constater que les runot
n'apparaissaient pas toujours isolées, mais que les
grands bardes les combinaient entre elles, de façon à former
des cycles qui se nouaient et se dénouaient au gré de
leur fantaisie. Au fur et à mesure que leur répertoire
s'enrichissait, les chanteurs augmentaient les dimensions
de leur poème et y incorporaient les épisodes
nouveaux, tout en y laissant subsister les contradictions
et sans chercher à créer un tout cohérent
et organique. Pourquoi donc ne pas agir comme eux ? Cette
idée, que Lônnrot avait probablement nourrie
depuis longtemps, prit dès lors des contours plus
fermes. Du reste, Lônnrot tira de ces constatations
des résultats erronés : il se persuada en effet
que les runot qu'il recueillait dans ses voyages étaient
les membres épars d'une vaste épopée
qui se serait dissoute et éparpillée au cours
des siècles. Il se proposa de reconstituer cette antique épopée,
de créer un grand poème homogène, une
somme de la poésie populaire finnoise. En pleine conscience,
il résolut d'agir comme un chanteur populaire, mais
en appliquant un projet qui n'aurait pu germer dans le cerveau
d'aucun barde. L'exemple d'Homère et la connaissance
de son œuvre était une condition préalable
de la tâche qu'allait entreprendre Lônnrot.
Au cours de l'hiver 1834-1835, Lcinnrot, qui avait accepté une
place de médecin à Kajaani, dans le Nord, pour être
plus près des contrées d'élection de
la poésie populaire, se mit à rédiger
le Poème de Vâinâmôinen, qui comptait
5.000 vers répartis en 16 chants. Il avait inséré dans
cette compilation les épisodes d'Ilmarinen. Quand
son manuscrit fut terminé, Lônnrot l'envoya à la
Société de littérature qui devait l'imprimer
dans sa série de publications. Mais, par suite d'un
retard providentiel, l'auteur eut le loisir d'ajouter à son œuvre
une quantité d'autres chants qu'il intercala habilement
aux places convenables. Le volume originaire s'en trouva
plus que doublé : 32 chants et 12.100 vers. Lônnrot
changea alors le titre du livre, qui ne correspondait plus
au contenu, et choisit le nom de Kalevala, qui apparaissait
dans certaines runot Caréliennes et qui, selon Lônnrot,
signifiait Terre ou Contrée des héros. Enfin,
le 28 février 1835, paraissait « Kalevala ou
les vieilles chansons Caréliennes des temps antiques
du peuple finnois ».
Kalevala
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